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21 juin en Absurdie

Mercredi 21 juin. Jour de la fête de la musique. Mais avant cette pause détente, jour des dernières (ou avant-dernières pour les séries technologiques) épreuves du bac. Il fait chaud (attention, euphémisme à l’horizon). Quelques 36° sont attendus à l’ombre (il est vrai qu’attendre au soleil serait parfaitement crétin). L’épisode est officiellement caniculaire, les plans d’urgence sont déclarés comme en attestent divers documents/mails/campagnes d’affichages et autres messages (plus ou moins spirituels pour certains).

Exemple, dans le cadre de la surveillance des épreuves du bac, il est demandé de veiller à ce que les candidats bénéficient des conditions les plus favorables possibles, entre autres en leur fournissant de l’eau en quantité suffisante. S’il est aisé de s’hydrater, il semble objectivement difficile de maintenir une température confortable. De plus, les salles surveillées pas plus tard que ce matin étaient exposées plein sud, donc susceptibles d’être étouffantes, mais néanmoins prudemment équipées de fenêtres à oscillo-battants : en effet, pour des raisons de sécurité destinées à éviter tout risque d’accident, l’ouverture latérale est condamnée, y compris pour faire entrer, avant l’entrée des candidats dans la salle, le moindre souffle d’air frais hérité de la nuit. Bien évidemment la climatisation est inenvisageable dans un établissement pouvant accueillir 1600 élèves : dépense énergétique, coût financier et pollution oblige.

Car c’est là que les choses se corsent et qu’on se demande si, sérieusement, on n’est pas l’heure du grand n’importe quoi. Les mêmes documents/mails/campagne d’affichage annoncent un pic de pollution à l’ozone et préconisent notamment de privilégier les transports en commun. J’évoque ici tram/bus/covoiturage et non « mouvements de liesse collective » à réserver pour plus tard dans la soirée lors du musiquethon annuel. Pour résumer « ozone = faire attention et jouer collectif et solidaire ».

Collectif et solidaire, mouais. A Strasbourg, capitale européenne (pour l’instant), grande prêtresse de la divine piste cyclable, heureuse pionnière du retour au tram 2.0 (y compris avec sa nouvelle ligne extra-moderne-éco-friendly qui vous dépose à la case Allemagne sans passer par la case « douane » qui a le mérite de ne plus entraver les rapprochements franco-allemands au quotidien), on n’a pas peur du ridicule.

C’est en effet ce même jour que la CTS, institution locale qui prend en charge ces fameux transports collectifs, annonce une grève. Au menu : service minimum assuré (nous voilà rassurés) entre 6h et 14h (comprendre 1 rame/30 mn) et réseau bus en mode light.

Epreuve du jour pour candidats ambitieux : « Le mercredi 21 juin, des centaines de candidats au bac doivent – pour une fois – arriver impérativement à l’heure au lycée. En même temps, un pic de pollution à l’ozone recommande de laisser Titine au garage, invitant à utiliser tram et bus. Enfin, un pseudo service public chargé d’assurer les transports en communs se met en grève à cette même date. Question : redéfinissez les termes collectif et solidaire ». Vous avez 2h.

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Bac 2017, c’est parti !

Juin. Ses terrasses. Ses soldes. Sa fin des cours. Et le bac… Comme les radis, ça revient tous les ans. En général la philo ouvrait le bal et était suivie le lendemain par le français. Cette année, une nouveauté pour entamer les réjouissances : la philo le matin, le français l’après-midi, tout ça le même jour, jeudi 15 juin 2017, date fatidique, point d’orgue du compte à rebours entamé le jour de la rentrée scolaire. On ne sait d’ailleurs quel bureaucrate a jugé futé de faire composer les élèves de première entre 14h et 18h sous le soleil exactement…

Le bac, institution créée par décret napoléonien le 17 mars 1808, reste aussi vénérable que contestée. Vénérable car précieux sésame qui permet d’accéder aux études supérieures. Contestée car coûteuse et régulièrement remise en question pour cause de pertinence désormais suspecte. Rien que cette question pourrait être débattue des heures… Détail amusant, le bac véhicule toujours son lot de fantasmes. En philo, l’angoisse reste la même depuis des lustres : « Platon, Nietzsche et compagnie je sais toujours pas à quoi ça sert et surtout je pige pas de quoi ça cause » ou bien : « Kaou je tombe sur la conscience, ça va envoyer du bois » (comprendre : ça s’annonce pas gagné…).

Pour l’écrit de français on entend encore : « ouhai moi je sais de source sûre que cette année c’est le théâtre qui va tomber parce que le cousin du neveu de la voisine d’en face connaît un gars qui lui a dit » ou encore « moi je prends le récit d’invention à coup sûr, même pas je lis les autres sujets » (ben voyons : kamikazes s’abstenir). N’oublions pas les oraux : « moi ses fiches de révision je m’en bats les steaks, vais le passer au talent son oral » (délicate remarque authentiquement entendue dans un couloir récemment) mais aussi « j’ai tout appris par coeur, tout relu, comme ça je mets tout et je suis certain d’avoir bon » (tout aussi hasardeux…).

La valse des épreuves sera suivie par l’histoire-géographie, les langues, les sciences éco, les maths, les sciences… Autant de jours que chaque candidat vivra intensément (quoiqu’il ou elle en dise), tout comme sa famille, par ricochet. Car oui, si le/la futur(e) bachelier(e) est seul(e) devant sa feuille, ce sont parents, fratrie et amis qui se préoccupent, s’inquiètent, soutiennent.
Petit mot spécial Mini-moi 1 qui se lance dans l’aventure dès demain : « pas de stress inutile, tout ira bien » (note perso : « oui, je sais, je n’y connais rien et je t’agace avec mes encouragements, mais que veux tu, on ne se refait pas »).

Ultime préconisation à la veille du grand jour : pour sourire un peu, ne pas hésiter à revoir cette vidéo signée Aziatomik.
Certes l’ensemble n’est pas politiquement correct, mais il n’est pas interdit de ne pas se prendre au sérieux (attention litote en vue) 😉

 

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Le pouvoir (oublié) des mots

Depuis de nombreuses années, je livre un combat, que je crains perdu d’avance. Il y a quelques années déjà, j’avais découvert la certification Voltaire (examen qui évolue les compétences des candidats en langue française, moyennant finances évidemment) à qui le papa de Candide et de Zadig, farouche défenseur de l’esprit éclairé et auteur du Dictionnaire philosophique portatif ou du Traité sur la tolérance prêtait son nom. Depuis, les élèves se sont succédé, les copies multipliées et les merveilles (comprendre « perles d’imagination ») accumulées.

Entre réforme de l’ortograf, crimes en série contre la littérature ou massacres linguistiques perpétrés par superstars de télé réalité (de type shampooing) ou journaux tous bords confondus (chez lesquels la profession de correcteur doit avoir disparu au vu du nombre de coquilles qui hantent les articles), la langue « évolue » (appellation pudiquement utilisée pour ne pas constater sa lente agonie). Du latin au français actuelen passant par l’ancien français et la novlangue de George Orwell dans 1984, une langue est dite vivante tant qu’elle s’enrichit. Nul doute que la nôtre soit vivante, vive ou même vivace. On regrettera néanmoins que la curiosité, l’envie de découvrir, de se poser des questions ou simplement « d’apprendre » soient, hélas, en perdition. Et nous repensons avec émotion à Nicolas Boileau : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Si seulement…

Heureusement que certains irréductibles se délectent du plaisir du verbe et résistent (« prouvent qu’ils existent » comme dirait France G, heureuse récipiendaire du trophée de l’Eurovision en 1965 pour le Luxembourg sur une chanson du sublime poète Serge Gainsbourg, inspiré de Beethoven pour la musique siouplait).

Pour assouvir votre soif de beaux mots, voici le conseil de lecture de Lady Pénélope : La septième fonction du langage, Laurent Binet, Grasset, 2015 : à dévorer d’urgence 🙂

Quelques perles à partager 😉

 

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Perdues de vue

Les enseignants sont supposés irréprochables, rigoureux et imperméables à la moindre erreur humaine. Je ne parle pas de l’excellente la réputation dont nous affublent les médias mais de l’opinion de nos élèves adorés pour qui, évidemment, nous sommes de purs esprits, entiers dévoués à notre sacerdoce profession, sans famille ni loisirs, puisque nous vivons à temps plein derrière notre bureau, farouchement armés de l’arme de notation massive : le stylo rouge.

Certes nous bénéficions de congés à fréquence régulière (non, non, je ne polémiquerai pas ici sur la néo réforme des rythmes scolaires et la tentative de mise à mort finale des langues anciennes bien que je pleure sur le destin du latin et du grec, plus que jamais hérité de la tragédie du même nom…) qui nous permettent, entre autres, de passer de beaux moments avec nos propres marmots et, bien évidemment aux sacro-saintes corrections. J’avais ainsi prévu de me consacrer (au sens religieux du terme vous l’avez deviné) à l’évaluation de quelques copies portant sur un passage d’Andromaque. Racine… Hermione (l’héroïne grecque, pas la jolie copine d’un certain Harry le balafré)… Pyrrhus… Autant de noms qui promettaient un envol vers les trésors du 17è siècle. Je me régalais par avance.

Départ vers une zone non hostile (comprendre loin du bureau évoqué plus haut avec vue sur la mer histoire de se recharger en iode). Installation du bazar et des juniors. Quelques jours off (parce que bon, on a aussi le droit de penser à autre chose). Enfin, la minute studieuse : je m’empare du stylo (voui, le rouge), ouvre la sacoche qui contient copies, cours, carnet de notes, bref, le kit de survie de l’enseignant. Mais là, damned, enfer et téléportation, scrogneugneu et compagnie : point de Racine. Hermione et Pyrrhus se sont fait la belle. Je vide, compte, retourne, re-vide, secoue. Nenni. Nada.

Je repasse le film du trajet. Aurais je fait tomber le précieux dossier au détour d’une aire d’autoroute, entre plein d’essence et infâme salutaire café de station service ? Jeté la pochette avec les vieux magazines à haut pouvoir abrutissant (mais tellement indispensables) ? Posé le paquet sur le toit de la voiture pour le glisser dans le coffre et oublié avant de démarrer ? Autant de questions qui restent sans réponse. Au passage je stresse les juniors (qui forcément n’y peuvent rien) qui voient moman perdre sa légendaire bonzitude pourtant tout droit héritée d’un lointain cousin par alliance, moine tibétain de son état.

Bref. Deux semaines à culpabiliser. Maudire ma soi-disant organisation soviétique (dixit les mêmes juniors) qui a du plomb dans l’aile. Mes pooovres élèves s’étaient pourtant appliqués sur le sujet. Et moi qui prie perpétuellement saintes Méthode et Organisation. Ca va être facile à défendre le jour de la rentrée quand je vais leur dire que les devoirs sont aux abonnés absents…

Retour à la maison. Re-vidage du fourbi. Lancement des machines (le linge, pas l’appareil, vous suivez ?). Installation derrière le bureau (sans la vue sur la mer) et soupir de désespoir. « Maman ! Mais elles sont là tes copies ! » me hurle mini moi 1. Quoi ? qu’ouïs-je ? Qu’accoustiqué-je ? Que vois-je ? Mais oui, les vilaines étaient sagement restées sur le canapé pendant que je réactivais mon ulcère. Grrr, ma blonditude légendaire a encore frappé.

Effet secondaire de cet abandon à l’insu de mon plein gré : un week end pour corriger le tout. Ca m’apprendra 😉

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La nouvelle vie d’Emma Bovary

Les études de lettres réservent de grands moments de découverte (Brantôme, Rilke…) et des instants de profond désespoir. Je sais que je vais dans quelques lignes m’exposer au courroux de mes bienaimés collègues professeurs de lettres (modernes ET classiques) et risquer d’essuyer des commentaires acides mais tant pis. Il me faut l’avouer (pardon chers littéraires de tous pays) : je n’ai jamais compris l’intérêt de Madame Bovary du regretté Gustave Flaubert. Déjà, la primo lecture de ce pavé volume m’avait laissée de marbre. Quelques années plus tard, le programme universitaire annonçait un module « exclusivement consacré à l’étude du chef d’oeuvre de Gustave Flaubert ». L’éducation sentimentale ? Las, loupé. Aussitôt espéré, aussitôt abandonné. C’était la tiédasse et capricieuse Emma, son fadasse et ramolli Charles, ses amants, ses amours, ses emmerdes que j’allais devoir me coltiner pendant deux semestres.

Dans mon malheur, j’appris que j’avais la « chance » d’avoir pour enseignante madame S., LA sommité reconnue comme experte sur le sujet : c’était le moment ou jamais d’être convertie. Aucune possibilité cependant d’attendre un cours tranquille (comprendre : où je pouvais préparer tranquillement partiels des autres matières et mémoire à soutenir quelques mois plus tard), il allait falloir donner de sa personne. En bonne étudiante que j’étais (bête et disciplinée donc), je me suis astreinte à la dissection nano lecture du dramatique destin de la pôvre Emma. J’étais comme les galériens embarqués dans la bataille de Lépante, pourtant libre et volontaire, à ramer non dans le golfe de Patras mais en pleine Seine Maritime… Plusieurs mois plus tard, madame S. avait commis son énième volume sur miss Bovary et moi, comme Zola, j’attendais toujours d’y trouver un attrait quelconque. Les années ont passé et Madame Bovary est restée à jamais pour moi le récit ennuyeux d’une femme qui s’ennuie.

Madame Bovary, Vincente Minelli

Seule anecdote amusante, j’avais découvert la technique du gueuloir de Flaubert : « Les phrases mal écrites ne résistent pas [à l’épreuve de la lecture à voix haute] ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements de cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie.(…) Je vois assez régulièrement se lever l’aurore, car je pousse ma besogne fort avant dans la nuit, les fenêtres ouvertes, en manches de chemise et gueulant, dans le silence du cabinet, comme un énergumène ! » (Lettre à Madame Brenne, 8 juillet 1876.). Gustave Flaubert, « en manches de chemises », au petit matin, en train de brailler ses phrases pour en vérifier la qualité d’écriture : l’image était divertissante.

J’avais ainsi scrupuleusement rangé l’ouvrage au rayon pertes et profits de la bibliothèque (dessous, pour caler le meuble), m’interdisant ne serait-ce que d’envisager de peut-être un jour l’infliger à une de mes classes (je ne suis pas inhumaine, même si je répète à l’envi à mes élèves que je n’ai pas de coeur). J’ai depuis découvert la vidéo de Jean Rochefort qui propose une « lecture alternative » du roman pour le Tumblr BDBL. La mièvre Emma y devient (entre autres) une « petite zouz qui kiffe le luxe » : jubilatoire. Certes, l’exercice est périlleux et il faut toute l’élégance de Rochefort pour ne pas tomber dans la vulgarité. Depuis hier je me surprends à imaginer Le rouge et le noir de Stendhal revisité : il ne s’agirait plus de la rencontre du gnangnan ramolli Julien Sorel avec la nunuche blonde Mathilde et la déjà cougar Madame de Rénal : tout un univers à réinventer. Je caresse le fol espoir de creuser ainsi La chartreuse de Parme et de replonger dans les secrets intimes de Fabrice Del Dongo, le héros absolu, flamboyant et furieusement sexy, histoire de kiffer ma race…

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Le temps des vacances

IMG_9462« Dites Madame, vous nous donnez pas trop de devoirs pour les vacances ? Parce que je vais au ski avec mes parents et après faudra que je me repose, je sais pas si j’aurai le temps de les faire ». C’est sur cette délicieuse question que s’est terminé le dernier cours. Aussitôt, j’ai culpabilisé, je m’en suis voulu (un peu), j’ai regretté (pas trop).
Les pauvres petits étaient, par ma faute, harassés de devoirs, étouffés sous d’abominables leçons à apprendre, des exercices à faire, des livres à lire (pouah). Tout ça alors que la poudreuse les appelle, que la console leur fait de l’oeil, que le canapé les réclame pour dévorer les niaiseries dévastatrices de QI. Cruelle que j’étais.
Mais, fidèle au gimmick que je m’applique à leur répéter quotidiennement (« vous savez bien que je n’ai pas de coeur »), j’ai résisté, assumant jusqu’au bout mon rôle de bourreau.
J’avais pour ma part un lot de copies savoureuses à corriger, histoire de ne pas les laisser seuls devant les devoirs de vacances. Vous avez dit solidaire ?